Saint-Pierre et Miquelon, terre de pionniers et d’aventuriers


On ne sait pas toujours la situer. Pourtant Saint-Pierre et Miquelon mérite d’être connue. Et reconnue. Pour sa beauté singulière, son histoire tumultueuse, ses habitants nourris des vies aventureuses de leurs aînés.

Les historiens ne l’ignorent pas, au petit jeu de savoir qui a découvert quoi, on perd à tous les coups. Christophe Colomb n’a pas été le premier à rallier l’Amérique, d’autres, et bien avant lui, y étaient déjà parvenus. En langage contemporain, on peut simplement dire qu’il a été le navigateur ayant le mieux « médiatisé » son débarquement de 1492 sur les côtes du Nouveau Monde…

Jacques Cartier prend possession de Saint-Pierre et Miquelon en juin 1536 (dessin colorisé de Pierre Gandon).

Tout comme, davantage au nord, à une grosse centaine de kilomètres du rivage canadien, si c’est bien Jacques Cartier, au nom du roi François 1er, qui en juin 1536 a pris possession des trois îles que forment Saint-Pierre et Miquelon, nombreux sont ceux qui y avaient posé le pied avant lui. Et ce n’est pas non plus le navigateur malouin qui a baptisé du nom de Saint-Pierre le port principal de l’archipel.

Cette région du monde, et plus spécialement, cette terre de Saint-Pierre et Miquelon (la seule française subsistante de toute l’Amérique du nord) s’est bâtie, s’est développée grâce à des héros plus anonymes. Des pionniers, des aventuriers pas moins valeureux que les illustres envoyés officiels vers l’Amérique des rois de France, d’Espagne ou d’Angleterre…

Le drapeau de Saint-Pierre et Miquelon rend hommage aux pêcheurs basques, bretons et normands qui ont pris racines sur l’archipel.

Héros sans lauriers au premier rang desquels les mythiques terre-neuvas, pêcheurs – majoritairement normands, bretons et basques – venus dès le XVIème siècle mener campagnes dans les eaux poissonneuses du secteur. Dans les filets des Français, de la morue, au bout des harpons et lances des Basques, des baleines.

Tout au long du XVIème siècle, Saint-Pierre et Miquelon sert d’abord de base à ces pêcheurs. Un havre sécurisé dont il paraît vraisemblable qu’ils l’aient eux-mêmes appelé du nom de leur patron, Saint-Pierre. Et dès le tout début du XVIIème, on observe les premières installations permanentes, bâtiments destinés au traitement du poisson, commerces, hébergements…

Au XVIème siècle, Saint-Pierre et Miquelon sert d’abord de base aux pêcheurs, et puis progressivement de lieu permanent de vie.

L’archipel devient un lieu de vie. Pas de tout repos cependant. La rivalité franco-britannique sur le territoire canadien et les grandes crises liées à l’indépendance de l’Amérique, la Révolution française ou encore les guerres napoléoniennes ne sont pas sans conséquences. Au cours des XVIIème et XVIIIème siècles, Saint-Pierre sera mise à sac plusieurs fois, et les Anglais prendront et reprendront l’archipel à neuf reprises… La rétrocession définitive de Saint-Pierre et Miquelon à la France n’interviendra qu’à la Restauration…

C’est un siècle plus tard que d’autre batailles, aériennes cette fois (sans pour autant être militaires), se dérouleront pour partie au-dessus – et plausiblement autour – de l’archipel. Et là-encore, au petit jeu de qui a gagné, c’est l’incertitude qui demeure.

Le héros « officiel » à qui revient l’honneur de la première traversée de l’Atlantique en avion – parti de New-York la veille, il rejoint Paris le 21 mai 1927 -, son nom est définitivement entré dans l’histoire, c’est l’américain Charles Lindbergh. A n’en pas douter, un authentique exploit, une prouesse exceptionnelle. Mais pas inégalée. Ni pionnière. Le nier, ce serait ignorer que pas moins de huit ans auparavant, deux britanniques, John Alcock et Arthur Brown, avaient relié Terre-Neuve à l’Irlande.

Et que 12 jours avant le succès de Lindbergh, deux pilotes Français, Charles Nungesser et François Coli, s’étaient envolés de Paris pour rejoindre New-York à bord de leur avion L’Oiseau blanc. Ils étaient attendus le 9 mai aux Etats-Unis, ils ne sont jamais arrivés. Lindbergh ne les avait pas oubliés : à son arrivée au Bourget, il s’est immédiatement enquit du sort des deux Français.

Une rue de Paris rappelle la traversée de l’Atlantique, aux commandes de leur avion « L’Oiseau blanc », de Nungesser et Coli.

Parmi les différentes hypothèses concernant leur disparition, la plus crédible demeure toujours celle d’une tentative d’amerrissage qui a mal tourné. Le carburant venant à manquer parce qu’il avait fallu se dérouter en raison du mauvais temps, et ainsi contourner Terre-Neuve, du brouillard, les deux pilotes décident de se poser. Sur son bateau, Pierre-Marie Le Chevallier, un pêcheur de Saint-Pierre, témoignera avoir entendu à proximité le bourdonnement d’un avion suivi d’un énorme fracas. Il indiquera aussi que son chien, présent sur l’embarcation, s’est aussitôt mis à hurler à la mort.

En 2013, Erik Lindbergh, petit-fils de Charles Lindbergh, a participé en rade de Saint-Pierre et Miquelon aux recherches visant à retrouver « L’Oiseau blanc » de Nungesser et Coli.

Au cours de l’enquête, d’autres témoins, notamment de Terre-Neuve, certifieront sous serment avoir vu un avion au fuselage blanc, l’avoir distinctement entendu, puis avoir perçu une déflagration intense. Et ce n’est pas le moindre des arguments pour appuyer la thèse d’un accident survenu alors que la traversée était quasiment accomplie : Erik Lindbergh lui-même, petit-fils de Charles Lindbergh, a rendu hommage en 2013 aux deux aviateurs Français en jetant une gerbe de fleurs blanches en rade de Saint-Pierre.

Nungesser et Coli, c’était du temps de la prohibition aux Etats-Unis (1920-1933). Et Saint-Pierre et Miquelon, véritable plaque tournante de la contrebande destinée à alimenter ce marché alors interdit, y a joué un rôle prépondérant. Au point qu’une partie de la population a délaissé la pêche au profit de ce trafic plutôt lucratif. Au point qu’Al Capone en personne est venu sur place s’assurer de la bonne marche des « affaires ».

Mais comme toujours, on évoque moins les hommes de l’ombre. Saint-Pierrais, le jeune Henri Morazé est de ceux-là. Personnage picaresque, il devient un des organisateurs de la contrebande. Pas très recommandable, mais remarquablement efficace. Et apprécié de tous ceux à qui profite ce commerce illicite.

Un livre du journaliste Freddy Thomelin retrace le parcours tumultueux d’Henri Morazé, Saint-Pierrais très impliqué dans la contrebande d’alcool au moment de la prohibition, mais qui occupera par la suite des responsabilités au sein des institutions de l’archipel.

Morazé met en place des filières d’approvisionnement en whisky mais également en vins et spiritueux français. Et pour les acheminer vers les côtes américaines, il affrète des « go fast », des bateaux parfois équipés de moteurs d’avion pour échapper aux garde-côtes américains. Mais ces derniers ne se laissent pas distancer aussi facilement. Alors, face aux risques d’arraisonnement qui se multiplient, on prend les devants : en conditionnant désormais les bouteilles non plus dans des caisses en bois mais dans des sacs de toile de jute… qui coulent mieux lorsqu’il y a urgence à les jeter à la mer.

Les années passant, Henri Morazé s’assagit, il occupera même des responsabilités après-guerre au sein des institutions de l’archipel. Et sera nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1965…

Le 23 décembre 1941, des forces de la France Libre, emmenées par le vice-amiral Muselier (à droite sur la photo), prennent le contrôle de Saint-Pierre et Miquelon.

Bien qu’éloignée de la métropole, un peu « oubliée », discrète, Saint-Pierre et Miquelon n’échappe cependant pas à la deuxième Guerre mondiale. L’Administration de Vichy s’y impose dès 1940. Pas pour longtemps. Le 23 décembre 1941, malgré la désapprobation des Etats-Unis, des forces de la France Libre emmenées par le vice-amiral Muselier prennent le contrôle de l’archipel. Et un référendum organisé dès le lendemain indique que 98 % de la population se range derrière la France Libre.

Des chiffres – un plébiscite – qui n’empêchent pas des dissensions entre les militaires et gendarmes « gaullistes » et des habitants s’estimant parfois maltraités par eux… La cohabitation s’instaurera cependant peu à peu…    

Chateaubriand, dans ses Mémoires d’outre-tombe, évoque sa visite en 1791 à Saint-Pierre et Miquelon : « J’attendis qu’une rafale, arrachant le brouillard, me montra le lieu que j’habitais, et pour ainsi dire le visage de mes hôtes dans ce pays des ombres. »

Une telle terre d’aventure, sa beauté singulière, son climat sont autant de sources d’inspiration pour les artistes. Et d’artistes, natifs ou non, l’archipel n’en manque pas. Ceux qui y sont passés : Chateaubriand, qui en fera écho dans ses Mémoires d’outre-tombe, Céline, qui s’y est aussi rendu et racontera dans D’un château l’autre comment il a demandé à Pétain et Laval d’être nommé gouverneur de l’archipel, le chanteur et voyageur Antoine, qui, enfant, y a vécu quelques années… 

Et ceux d’aujourd’hui : peintres, dessinateurs, graveurs, photographes, musiciens… Connus, comme les plasticiens et créateurs de timbres (voir encadré) Raphaële Goineau, Patrick Dérible, Jean-Jacques Oliviero…

Et bien sûr, plus anonymes mais tous aussi productifs et intéressants, tous ceux qui contribuent par leurs travaux à rendre compte de l’exceptionnelle richesse naturelle et humaine de ce petit bout Français d’Amérique…  

Rodolphe Pays

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Repères

  • L’archipel comporte 4 îles principales : Saint-Pierre, Miquelon, Langlade et L’île aux marins.
  • 6000 habitants
  • 242 km2
  • 4600 km de Paris
  • 5 musées

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Des timbres et des artistes renommés

Les émissions philatéliques de Saint-Pierre et Miquelon sont appréciées et recherchées partout dans le monde. Et depuis très longtemps. Une notoriété qui doit beaucoup au particularisme du processus de conception des timbres de l’archipel : le statut de Saint-Pierre et Miquelon lui permet en effet d’être décideur – via la commission philatélique de la collectivité – des thèmes et choix artistiques des timbres.

Raphaëlle Goineau, dessinatrice, peintre de la Marine (photo ATG Le Tiec).

Avec comme conséquence une production significative pour un territoire aussi peu étendu. Et des timbres témoignant des beautés et originalités des îles souvent créés par des artistes locaux – Raphaële Goineau, Patrick Dérible, Jean-Jacques Oliviero… – dont la réputation s’étend bien au-delà des limites de l’archipel.

Patrick Dérible, peintre, dessinateur, passionné d’images (photo ATG Le Tiec).
Jean-Jacques Oliviero, dessinateur, photographe, homme de théâtre…

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L’association L’Art du Timbre Gravé (ATG) consacre le numéro de juin de sa revue Del.&Sculp. à Saint-Pierre et Miquelon et ses artistes (et propose également un entretien avec le directeur de La Poste de l’archipel).

Des représentants de l’ATG et des artistes se retrouveront au cours de l’été à l’occasion d’un événement philatélique organisé sur l’archipel.

En savoir plus sur l’ATG : https://www.artdutimbregrave.com/

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