La restauration en France du mobilier de Longwood House, la maison de l’île de Sainte-Hélène où Napoléon a été retenu prisonnier de 1815 à sa disparition en 1821, est à l’origine de la remarquable exposition qui vient de s’ouvrir au musée de l’Armée.
Une occasion de mieux connaître les conditions de l’exil, le dernier carré de fidèles et l’ultime combat de Napoléon.
Exposé à un soleil parfois implacable, subitement envahi de brouillards glaçants, battu de vents entêtants, trempé régulièrement de pluies violentes qui se déversent sans interruption quelques minutes comme quelques jours : le plateau de Longwood, au nord de Sainte-Hélène, ne bénéficie pas du climat relativement doux et uniforme que connaît le reste de cette île, possession anglaise plantée au beau milieu de l’Atlantique sud. La température y est aussi souvent inférieure de plusieurs degrés.
Contraints par la Couronne britannique après la défaite de Waterloo à vivre sur ces hauteurs peu hospitalières, Napoléon et son entourage souffriront de ces dures conditions météorologiques. Le bâtiment et le mobilier de Longwood House, la résidence où Napoléon et ses derniers fidèles étaient cantonnés sous la surveillance permanente et pointilleuse de soldats anglais commandés par le zélé Hudson Lowe, n’ont pas non plus été épargnés par ces éléments.
Après la mort de l’Empereur et le retour en Europe de ses compagnons d’infortune, la maison reste en effet pour longtemps inoccupée (après avoir quelques années durant retrouvé sa vocation de ferme). L’humidité, les sautes de températures, le manque d’entretien dégradent au fil du temps notamment les meubles. Tables, fauteuils, dessertes, armoires, objets de décoration… , toutes ces pièces historiques finissent ainsi par nécessiter des soins. Une tâche qui revient à la France, propriétaire des lieux depuis que Napoléon III en a négocié l’acquisition en 1857 auprès des autorités britanniques.
Il faudra cependant attendre 2013 pour qu’une campagne de restauration du mobilier de Longwood House s’engage. Elle concernera d’abord tout ce qui peut être traité directement sur place. Une centaine de pièces emblématiques ne pouvant pas l’être rejoignent alors la France. Ce sont plus de vingt d’entre elles qui sont depuis quelques jours présentées au musée de l’Armée dans le cadre d’une exposition consacrée à Napoléon à Sainte-Hélène.
« La restauration du mobilier de Longwood House est à l’origine de ce projet, nous avons voulu montrer ce patrimoine avant qu’il ne retourne à Sainte-Hélène, explique Emilie Robbe, conservateur en chef du patrimoine au musée de l’Armée et co-commissaire de l’exposition, et nous y avons associé des pièces venues d’institutions culturelles françaises et étrangères ou de collections privées pour évoquer les conditions dans lesquelles a vécu durant presque six années Napoléon. »
Ce sont d’abord les circonstances de l’exil qui sont présentées.
A travers des objets symboliques, comme le fusil de chasse offert par Napoléon au capitaine Besson pour le remercier de son dévouement (Besson avait proposé et organisé juste après Waterloo un scénario de fuite à laquelle Napoléon ne s’était pas résolu, estimant qu’il devait rester digne de son rang).
Comme aussi les effets, la vaisselle et quelques souvenirs – l’épée d’Austerlitz – réunis dans l’urgence avant le départ pour Sainte-Hélène par Louis-Joseph Marchand, indéfectible fidèle et 1er valet de chambre de l’Empereur.
La vie qui s’organise à Longwood, dans la maison, le jardin, est retracée. Des pièces sont reconstituées. Celle du billard, par exemple (un « cadeau » du gouverneur de l’île), à l’entrée de la demeure. Napoléon y étalait surtout des documents, des cartes, des plans… , comme s’il était toujours en campagne. C’est là aussi qu’il recevait ses visiteurs.
Mais quand le temps le permettait, c’était au jardin qu’il les accueillait, un endroit où il aimait déjeuner, dicter des textes. On retrouve le banc où il s’asseyait, son fauteuil « chinois »… Des meubles souvent fournis parce qu’ils n’en voulaient plus par des habitants de l’île. Et on visite également la chambre, avec son lit de campagne, le nécessaire de toilette…
Gourgaud, Bertrand, Montholon, Las Cases…, les hommes qui ont suivi Napoléon dans son exil – leurs épouses aussi, parfois leurs enfants – sont évoqués, à travers des courriers, des gravures… Une suite d’où ne sont absentes ni les intrigues, ni les jalousies, ni les fâcheries…
« La seconde partie de l’exposition est dédiée à l’ultime combat de Napoléon, celui de la mémoire, de la transmission, poursuit Emilie Robbe, on le voit lire, travailler avec ses collaborateurs, écrire sa propre histoire. »
La bibliothèque, qui comportait plus de 3000 volumes, est suggérée, des livres qui ont appartenu à Napoléon, comme Les commentaires sur la guerre des Gaules de Jules César, sont présentés…
Sur des gravures, celui qui n’est plus pour les anglais que le général Bonaparte apparaît en tenue d’intérieur dans son cabinet de travail (portant madras, redingote de chambre et pantoufles), dictant ses réflexions, surtout sur les campagnes de son début de règne, en Italien en Egypte…
Des pages du Mémorial de Sainte-Hélène, l’ouvrage écrit par Las Cases – qui connut dès le XIXème siècle un succès considérable – sur l’histoire et la petite histoire de Napoléon, accrédite la thèse de la réussite de l’entreprise : Napoléon, par Las Cases interposé, n’aura laissé personne d’autre écrire son épopée…
Et puis la fin arrive, les tourments, les doutes, la maladie… Avec des objets intimes, émouvants : la baignoire où Napoléon prenait des bains qui parvenaient un peu à la soulager, le lit de campagne dans lequel il s’est éteint… La salle à manger se transforme alors en chapelle (crucifix, portrait de Jésus, bible, calice… ).

« L’avenir des statues », oeuvre de René Magritte réalisée d’après le masque mortuaire de Napoléon (1932).
Des tableaux et estampes montrant Napoléon durant ces presque six années complètent l’exposition, de son arrivée sur l’île, le 16 octobre 1815 à son décès, le 5 mai 1821. Ils présentent Napoléon – sur son rocher, au travail, sur son lit de mort… – déchu mais victorieux, remportant son combat pour la postérité.
Rodolphe Pays
« Napoléon à Sainte-Hélène/La conquête de la mémoire », jusqu’au 24 juillet, musée de l’Armée, Hôtel des Invalides, Paris 7ème (Tél. : 01 44 42 38 77).
Deux questions à Michel Dancoisne-Martineau, Consul honoraire de France, conservateur des domaines Français de Sainte-Hélène, co-commissaire de l’exposition Napoléon à Sainte-Hélène.
La restauration du mobilier de Longwood, le traitement du courrier reçu et envoyé par Napoléon et son entourage : deux aspects de l’exposition Napoléon à Sainte-Hélène en rapport avec l’activité et la vocation du Musée de La Poste. Michel Dancoisne-Martineau y revient en détail.
» LE COURRIER, CA RESUME TOUT L’EXIL »
La restauration du mobilier de Longwood House est le point de départ de l’exposition « Napoléon à Sainte-Hélène ». Comment ce chantier a-t-il été mené ?
Cette restauration entre dans le cadre d’un projet qui intégrait également la rénovation du bâtiment lui-même et sa décoration intérieure. Lancés il y a déjà quelques années, les travaux concernant la maison et son agencement ont été programmés et réalisés avant ceux du mobilier. Le chantier de ce dernier s’est lui achevé récemment.
Il s’agissait ainsi de traiter l’intégralité des meubles de Longwood House – qui avaient pour l’essentiel surtout souffert de l’humidité -, c’est à dire autour de 200 objets. Un peu moins de la moitié a pu être pris en charge sur place. Tout le reste, dont beaucoup de pièces emblématiques comme le billard ou les globes terrestres, a été transféré en France. Une partie d’entre elles figure au sein de l’exposition.
Cette restauration globale – maison, décoration, mobilier – s’est accompagnée de la création d’une Fondation de droit local, la Saint Helena Napoleon Heritage Limited. Cette structure composée de trois administrateurs permettra de pérenniser, de davantage faire vivre ce lieu de mémoire ainsi que les autres domaines français de l’île, la Vallée du tombeau et la maison des Briars, première et éphémère résidence de Napoléon.
Une reproduction d’un écrit de Napoléon sur « l’importance de la lettre d’une mère ou d’une sœur pour ceux qui endurent les souffrances de la captivité » est accrochée dans l’exposition. Dans quelles conditions le courrier reçu ou expédié par Napoléon et son entourage parvenait-il et était-il transmis ?
Le courrier, ça résume tout l’exil. Tous les envois à l’attention de Napoléon et de ses proches transitaient par le Ministère de la Guerre britannique. Les lettres étaient ouvertes, censurées le cas échéant, voire non transmises. Elles étaient ensuite acheminées par bateau. Et à nouveau ouvertes.

Napoléon dictant ses mémoires aux généraux Montholon et Gourgaud en présence du maréchal Bertrand et du comte de Las Cases.
Napoléon ne recevait pas de courrier officiel. Toutes les lettres adressées à l’Empereur étaient rejetées par les Anglais, qui considéraient que leur prisonnier n’était plus que le général Bonaparte. Et Napoléon lui-même, s’estimant toujours Empereur des Français, refusait de recevoir des plis adressés au général Bonaparte. Pour l’entourage, la censure était également pratiquée, mais avec un peu moins de rigueur.
Les seules lettres que Napoléon recevait ou qu’il envoyait – toujours dictées selon son habitude – étaient clandestines. Il y en avait régulièrement, acheminées grâce à des complicités via des bateaux de commerce qui faisaient escale à Sainte-Hélène. Sous couvert de son entourage, Bertrand et Montholon notamment, des lettres codées étaient également expédiées. Montholon en particulier a souvent pris des risques pour aider Napoléon à faire parvenir des messages.
Cette correspondance clandestine, si importante, c’est un vrai cauchemar pour les historiens, elle a en effet la plupart du temps été détruite après lecture…
Propos recueillis par Rodolphe Pays
Les Domaines Français de Sainte-Hélène
Sainte-Hélène est un territoire d’outre-mer du Royaume-Uni. Cette île volcanique, l’une des plus isolées du monde, se situe au milieu de l’océan Atlantique sud, à près de 2 000 km des côtes africaines et 3 500 de celles du Brésil. Accessible jusqu’à présent seulement par mer, l’île s’apprête à un changement de taille : un aéroport y sera inauguré en mai.
Découverte en 1502, elle devient possession de la Compagnie anglaise des Indes orientales en 1657.
Napoléon n’est pas le seul à y avoir été exilé. En 1890, le chef zoulou Dinizulu y fut détenu.
Et lors de la Seconde Guerre des Boers, le général Piet Cronje et 6000 boers y furent emprisonnés.
La France possède une infime partie de cette île de 122 km2. Les Domaines nationaux comprennent depuis 1858 la résidence de Longwood et les quelques terres qui l’entourent ainsi que la Vallée de la Tombe, lieu où Napoléon a été enterré de 1821 à 1840.
Et depuis 1959, la maison dite des Briars et son jardin, là où Napoléon avait été hébergé en attendant que Longwood House soit installée.
Consul honoraire de France, Michel Dancoisne-Martineau est le directeur des Domaines nationaux de Sainte-Hélène depuis 1987.
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