Archive pour août 2021

Paris de Dufy réussi au musée de Montmartre

On connaît Raoul Dufy (1877-1953) sans toujours savoir grand-chose de son œuvre pourtant considérable. S’il a beaucoup montré la Normandie et le midi, l’artiste s’est aussi intensément consacré à Paris.

Avec un accrochage une nouvelle fois original, le musée de Montmartre permet jusqu’en janvier de découvrir les visions de la capitale de ce grand plasticien du XXème siècle.

Près de 13 ans que Raoul Dufy n’avait pas été exposé à Paris. Le musée de Montmartre propose cet été et tout l’automne un accrochage consacré à sa vision de Paris.

Assez peu présent dans les collections des musées, pas si fréquemment exposé, on oublie bien souvent Raoul Dufy. Les « bonnes » raisons invoquées ne manquent pas : trop touche-à-tout, donc dilettante, trop prolifique, donc peu crédible, trop tourné vers le « bonheur », l’apparente légèreté, donc futile…

Les réputations – plus forgées au long  du XXème siècle par certains critiques que par les amateurs d’art – ont la vie dure, près de treize ans en effet que cet artiste de tous les talents n’avait vu son travail faire l’objet d’une présentation à Paris. Le « mal » est en partie réparé : le musée de Montmartre, toujours concepteur d’accrochages de grande qualité, fait fi des condescendances et lui consacre tout l’été et cet automne une très intéressante et éclairante exposition.

Et particulièrement originale, puisqu’elle s’attache à montrer le regard de Dufy sur Paris. Davantage connu pour avoir dépeint sa Normandie natale, son midi d’adoption et nombre de champs de course, Dufy a cependant très jeune tissé des liens – qui demeureront définitifs – avec la capitale. Et spécialement avec Montmartre (il a même séjourné un temps dans un des ateliers d’artistes installés à l’époque dans le musée), quartier où il a posé des années durant ses pinceaux et chevalets.

La relation de Dufy avec Paris s’est amorcée l’année de ses 13 ans à l’occasion d’un séjour passé chez un oncle et une tante lors de l’été 1890. Un courrier qu’il adresse le 4 juillet pour donner des nouvelles à ses parents dévoile déjà son attrait et son aptitude pour l’art et le dessin. Il y évoque un tableau de l’appartement « qui fait très bien là où il est », « les méthodes et les boîtes de peinture de mon oncle Besnier » et il signe sa missive d’un dessin légendé assez maîtrisé représentant un fiacre parisien de la compagnie de l’ouest.

Dans une lettre à ses parents lors de son premier séjour à Paris, le jeune Raoul Dufy dévoile déjà son attrait et son aptitude pour le dessin.

C’est cette lettre qui ouvre l’exposition. Suivie de deux autoportraits placés côte à côte – un « Rastignac » et un « moderne » – qui dévoilent déjà toute la richesse du vocabulaire pictural de l’artiste.

« En plus de son atelier de l’impasse Guelma à Montmartre, qui était un peu son ancrage parisien, Dufy avait des ateliers, ou plutôt des chambres qu’il utilisait pour travailler, un peu partout dans Paris, raconte Didier Schulmann, l’un des deux commissaires de l’exposition. Il a beaucoup peint tous ces endroits, et contrairement à ce qu’il a pu faire ailleurs, il n’a le plus souvent pas cherché à retranscrire l’agitation de la ville, les fiacres, les passants, ce qui l’a plus intéressé, ce sont les lieux, les bâtiments, leur âme. »

Didier Schulmann, co-commissaire de l’exposition : « En plus de celui de Montmartre, Dufy avait des ateliers, ou plutôt des chambres qu’il utilisait pour travailler, un peu partout dans Paris.  »

On retrouve ainsi par exemple, au fil de l’exposition, des toiles montrant à la fois l’intérieur de l’atelier Guelma, un bout de couloir étroit, une chambre qui se profile au fond, et son extérieur, via une porte-fenêtre grande ouverte, s’y dressent les façades des immeubles alentour, apparaît un fragment de trottoir…

Des salles de concert aussi (Dufy était un mélomane averti et éclectique, partout où il se déplaçait, il ne manquait pas d’assister à des spectacles musicaux). « Là encore, peu de spectateurs, peu de musiciens, explique Didier Schulmann. C’est le son des orchestres qu’il tentait de faire sentir, l’ambiance du lieu. »

En peignant des salles de concert, Dufy, mélomane averti, cherchait d’abord à rendre le son des orchestres, l’ambiance du lieu.

Plus avant dans l’expo, deux tableaux au sujet identique, le même bord de Seine près de Paris, la même demeure à l’arrière, et là non plus pas âme qui vive. L’un achevé, l’autre non. « La juxtaposition de ces deux œuvres pourrait éloquemment illustrer un des griefs faits à Dufy, celui de la profusion, de la non-sélection, indique Saskia Ooms, la conservatrice du musée et co-commissaire de l’exposition. Mais ce que cela nous apprend surtout, si Dufy conservait tout, c’est qu’il considérait que faire fausse route, se retrouver dans une impasse n’était pas un échec mais déjà une tentative, et que celle-ci faisait partie intégrante de son travail. »   

Dans la plupart des toiles présentées (pas toutes absentes de personnages, une salle est consacrée aux « nus » en atelier, une autre aux robes et leurs modèles, aux guerriers africains… ), on retrouve la « signature » de Dufy, sa patte, la distorsion entre le trait et la couleur. Après l’expérimentation, la confrontation avec les courants artistiques de sa jeunesse, sa période fauve, cubiste, le peintre a tracé sa voie, son originalité, l’expression qui convient le mieux à ses intentions : la couleur (notamment le bleu, pour Dufy « la seule couleur qui, à tous ses degrés, conserve sa propre individualité ») qui s’avance, s’invite, déborde, prend l’ascendant.

Présentée en trois volets, l’immense lithographie reproduisant la Fée électricité, l’œuvre la plus célèbre de Dufy (une commande de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité pour l’exposition universelle de 1937), traduit à elle-seule ces caractéristiques du style du peintre. « Nous ne pouvions exposer les indéplaçables 600 mètres carrés de l’œuvre originale installée au musée d’art moderne de Paris, explique Saskia Ooms, mais la pièce que nous proposons est bien plus qu’une réplique, 70 %  de cette litho ont été retouchés par Dufy lui-même, il en a rehaussé des couleurs, modifié certains aspects, ajouté des éléments. »

Saskia Ooms, conservatrice du musée de Montmartre : « La lithographie de La Fée électricité que nous proposons est bien plus qu’une réplique, 70 % de cette reproduction ont été retouchés par Dufy lui-même. »

Paris est aussi très présent dans les autres disciplines auxquelles Dufy s’est consacré. Son art, son eccéité se retrouvent ainsi notamment dans l’intense activité de décorateur de tissu – mais il a aussi été graveur, céramiste, décorateur d’intérieur, de théâtre… – qu’il a exercée sans relâche durant une dizaine d’années, période pendant laquelle il a pratiquement abandonné la peinture.

« Nous avons choisi de dédier une salle entière de l’exposition à des sièges recouverts de tissus dessinés par Dufy et tissés par les ateliers de textile de Beauvais et Aubusson, explique Didier Schulmann. Les scènes représentées sur les assises et les dossiers de ces fauteuils montrent des bâtiments traditionnels de Paris, que Dufy a choisi de traiter avec tout son talent de manière à la fois convenue et comme un peu désinvolte. » 

Une salle entière de l’exposition est dédiée aux sièges recouverts de tissus dessinés par Dufy et tissés par les ateliers de textile de Beauvais et d’Aubusson.

Tissu toujours et sur le même thème que ces sièges, avec le large paravent que Dufy a conçu en partie d’après des gravures de Paris des XVIIème et XVIIIème siècles. Une vision actualisée, la Tour Eiffel apparaissant en bonne place de cette vue aérienne de la capitale.

Et puis des illustrations d’ouvrages, notamment de textes d’Apollinaire, qui fut un de ses amis, des études préparatoires pour des cartes de vœux, des gravures pour papiers à en-tête… Des photos des ateliers de l’artiste.

L’exposition présente aussi des illustrations d’ouvrages réalisées par Dufy, ainsi que des études préparatoires et des photos de modèles et d’ateliers du peintre.

Une exposition très riche (plus de 200 œuvres et documents), passionnante, abritée dans l’écrin merveilleux du musée de Montmartre… et prolongée jusqu’au tout début 2022.

Rodolphe Pays

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Le Paris de Dufy, jusqu’au 2 janvier 2022, au musée de Montmartre-Jardins Renoir, 12 rue Cortot, Paris 18ème. Ouvert tous les jours de 10 h à 19 h jusqu’en septembre, de 10 h à 18 h d’octobre à mars. Tél. : 01 49 25 89 39.

En savoir plus : https://museedemontmartre.fr/exposition/exposition-dufy-au-musee-de-montmartre/

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Un catalogue/livre d’art

C’est un catalogue bien sûr, celui de l’exposition, mais c’est bien plus que cela encore, un véritable ouvrage d’art – la marque de fabrique d’In Fine éditions d’art – qui ne dépare pas dans le rayon dédié aux beaux livres d’une bibliothèque.

Originalité en forme de clin d’œil (en même temps que de rappel historique), il s’ouvre par une lettre faisant part à Geneviève Rossillon, la présidente du musée de Montmartre, de la satisfaction de son auteur pour ce nouvel accrochage, missive signée… Raoul Dufy.

Et se poursuit par une succession d’essais écrits par Didier Schulmann et Saskia Ooms, les deux commissaires de l’exposition, ainsi que par Sophie Krebs, Romy Golan et Fanny Guillon-Laffaille, trois membres du comité scientifique ayant travaillé sur le projet.

Autant de textes, appuyés de photos d’archives, riches d’informations et de précisions sur la vie, l’œuvre, les multiples pratiques artistiques, les influences – reçues comme transmises -, les liens avec les marchands d’art de Raoul Dufy.

Toutes les œuvres exposées sont ensuite présentées et détaillées, avec un soin tout particulier apporté à la qualité des images. De la belle ouvrage…

Catalogue co-édité par le musée de Montmartre et In Fine éditions d’art (bilingue français/anglais – 175 pages – 19,95 euros).

En savoir plus : In Fine – Éditions d’art (infine-editions.fr)

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Article publié par les éditions DOCSITE, texte et photos Rodolphe Pays.


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