Pierre Josse est depuis quarante ans la colonne vertébrale des Guides du Routard, leur cheville ouvrière.
Il a décidé de parler un peu de lui, de ses souvenirs, de ses rencontres, des gens qui l’on aidé, marqué, ému… Des lieux qui l’ont ébloui, changé…
Ses premières Chroniques vagabondes ont ainsi été éditées il y a quelques semaines. Sous forme d’un abécédaire très libre, débridé… A l’image de leur auteur.
Pierre Josse est depuis toujours un amoureux inconditionnel de l’Irlande et des Irlandais. « J’en reviens tout juste, dit-il, c’était mon 43ème séjour là-bas. »
Une comptabilité précise – en même temps qu’un peu vertigineuse – qui pourrait étonner de la part d’un voyageur aussi aguerri.
Mais elle ne traduit rien d’autre que la délectation que procurent toujours ses déplacements professionnels au rédacteur en chef historique des Guides du routard.
Dans la même veine, il affiche aussi volontiers ses « 107 pays au compteur ».
« Avec la dislocation de la Yougoslavie, j’en ai à l’époque ajouté 7 à la liste en peu de temps », s’amuse-t-il. Pas de forfanterie là-dedans. Plutôt une jubilation de l’éternel étudiant qu’il n’a sans doute jamais tout à fait cessé d’être.
Et même une sorte d’étonnement, comme si à travers ces chiffrages, il se pinçait pour vérifier que son insatiable désir de rencontres et de visions avait réellement été exaucé. Un léger syndrome de collectionneur peut-être aussi…
Quasiment quarante ans que Pierre Josse arpente ainsi le monde en tous sens (éveillés) pour le mythique guide touristique né au début des années 1970.

Pierre Josse est aussi un adepte du mail art. Son ouvrage reproduit plusieurs de ces cartes postales illustrées qu’il expédie de tous les pays du monde (le Musée de La Poste en a exposé une sélection il y a quelques années).
D’abord correcteur des textes (un de ses premiers métiers, cf. encadré), il fait part à Philippe Gloaguen, l’un des deux fondateurs du guide – l’autre, Michel Duval, était déjà parti rejoindre de nouveaux horizons professionnels -, de son envie d’aller voir en vrai ce qu’il lit et annote tous les jours.
« Tout vient d’un déjeuner avec Philippe dans un restaurant du 15ème, se souvient Pierre Josse, à l’entrée je lui ai parlé de ma frustration de ne voyager que par procuration, et au dessert j’étais promu grand voyageur. »
C’était parti. Pour longtemps, pour toujours. Londres d’abord. Et très vite, l’Inde, le Brésil… Et partout ailleurs.
Cette aventure permanente, il a décidé d’en raconter des bribes dans un ouvrage abécédaire. Ces « Chroniques vagabondes » évoquent des petits bouts de ses voyages, de ses rencontres, de ses sentiments, de ses révoltes.
De sa vie en dehors du Routard aussi. Militante, familiale… Aventures et (petites) mésaventures se succèdent. Et l’humour n’est jamais loin.

Quarante ans de Guide du Routard, ça occupe une vie… et pas mal d’espace.
On passe ainsi un peu de temps – et c’est un bonheur – en compagnie de Sophie Sarroff, une vieille syndicaliste new-yorkaise que Pierre Josse a rencontré à plusieurs reprises.
« Elle était originaire d’Ukraine, elle me racontait ses luttes ouvrières, ses combats, se rappelle-t-il, j’en étais ému aux larmes. »
Et on file en Afrique du sud. Une destination au fond paradoxale pour l’ancien militant anti-apartheid. Mais passionnante. « A cette occasion, j’ai eu la chance de pouvoir sympathiser avec un des derniers gardiens de prison de Nelson Mandela, poursuit-il, un type très intéressant, c’était un moment incroyable. »

« En visitant le Japon pour le Routard, en 2006, je suis tombé de l’armoire, j’ai découvert un pays si éloigné de mes préjugés. » P. Josse.
Et c’est un ex-roi du Dahomey que l’on croise. On assiste aussi à un meeting de l’opposante birmane Aung Saan Suu Kyi. Les portraits se succèdent, les anecdotes aussi.
On est au cœur des échanges, avec des ouvrières cubaines, des patrons de bistros de Paris et d’ailleurs, on longe les allées de cimetières d’Italie, de Madagascar, Le Père Lachaise…
« J’ai toujours voulu donner du sens à mes voyages, insiste Pierre Josse, comprendre où j’étais, avec qui j’étais, que je sois en présence d’un président ou d’un berger. »

De retour d’Irlande, l’intégration des modifications et actualisations nécessaires…
Son goût des voyages – on pourrait sans doute parler d’addiction -, il a mis du temps à prendre conscience de son origine.
« C’est sur le tard que j’ai compris ce que je devais à ma mère, admet-il aujourd’hui, elle était très catho, mais c’était une routarde-née, adhérente de la première heure des randonnées et des auberges de jeunesse. »
Les photos des balades sac au dos de sa mère qui recouvraient les murs du logement parisien de la famille Josse ont vraisemblablement, sans qu’il s’en doute, marqué le « petit Pierre ». Elles ne sont pas pour rien dans sa vocation.
Les pages qu’il dédie à cette mère initiatrice sont très belles.
Pierre Josse continue sa route. En levant un peu le pied. Plus que 5 ou 6 voyages par an, alors qu’il en faisait le double il n’y a pas si longtemps. Nul doute qu’il repartira prochainement en Irlande. Le 44ème séjour Pierre, non ?
Rodolphe Pays
« Chroniques vagabondes, petit dictionnaire insolite des rencontres et itinéraires d’un Routard », Pierre Josse (chez Hachette).
Etalagiste, instit de prison, ouvrier imprimeur…
Propos souvent vus ou entendus : « Je n’ai pas toujours fait de la politique, je n’ai pas toujours été artiste, ou journaliste en vue. La vraie vie, je la connais aussi, j’ai exercé toutes sortes de métiers avant de m’engager dans la vie publique, avant de vivre de mon art, de mes articles… »
Lorsque des personnalités acquièrent une certaine notoriété, il n’est pas rare qu’elles affichent ainsi d’autres vies professionnelles. Pour donner le change, dire combien elles ne sont pas seulement ce que les médias renvoient d’elles, qu’elles n’ignorent pas le quotidien des citoyens anonymes, des « vraies » gens.
En se gardant toutefois de préciser que ces expériences professionnelles se sont souvent limitées à d’épisodiques jobs d’étudiant, l’été, entre examens de fin d’année, vacances au soleil et retour à la fac.
D’autres ont en revanche réellement mené des carrières différentes en attendant d’accomplir celles qui les ont fait connaître du public. Et pas seulement occasionnellement. C’est le cas de Pierre Josse qui, avant de rejoindre le « Routard », avait pratiqué durant des années plusieurs métiers le plus souvent très éloignés de celui de journaliste.
Comme décorateur-étalagiste chez Braun. Un job qui l’expédiait en permanence aux quatre coins de la France. Ses patrons étaient plutôt satisfaits de ses résultats. Du coup, ils l’avaient même bombardé responsable commercial. Costume de rigueur, marketing… Là, c’était quand même « trop », il a décroché. Après plus de 5 ans quand même…
Pour devenir instituteur de prison. A Fleury-Mérogis, au sud de Paris. L’expérience a duré deux ans. Et a tourné court quand le futur routard a aidé un jeune détenu en difficulté à passer un examen de Français. L’affaire est remontée à sa hiérarchie. Exit l’enseignement.
Et bonjour l’imprimerie. Quatre années comme bobinier, ouvrier- imprimeur. Puis correcteur à la suite d’un sévère accident du travail. C’est ainsi que Pierre Josse s’est au final rapproché de l’univers de l’édition. Et du guide où il allait passer les quarante années suivantes…
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