Archive pour février 2017

Nicole Bayle, de la peinture à l’art postal en passant par les tricots géants : « C’est l’art qui me sauve »

Nicole Bayle pratique à la fois la peinture, l’art postal et le « jacquard » démesuré.

Trois disciplines que cette ex-professeure d’arts plastiques exerce quotidiennement à Dieppe, sa ville d’adoption. Portrait.

Artiste pluridisciplinaire, Nicole Bayle vit et travaille à Dieppe depuis plusieurs dizaines d'années.

Artiste pluridisciplinaire, Nicole Bayle vit et travaille à Dieppe depuis plusieurs dizaines d’années.

Il y a un côté « titi » parisien chez elle. Dans la pointe d’accent qu’elle conserve, alors qu’elle est installée depuis maintenant de nombreuses décennies en Normandie.

Dans son débit toujours ultra rapide. Dans son humour aussi, mélange d’autodérision, d’ironie, de discernement amusé et un rien rigolard.

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Nicole Bayle a ses habitudes dans un des restaurants du bord de mer de Dieppe.

On ne se refait pas : Dieppoise d’adoption, Nicole Bayle demeurera toujours un peu une fille du dix-huitième arrondissement de Paris, où elle a passé toute sa jeunesse.

Une différence de « tonalité » qui se vit aussi à l’occasion au quotidien.

« On a beau habiter ici depuis des lustres, être intégrée comme on dit, beaucoup aimer la région, explique-t-elle, on ne fait quand même pas tout à fait partie de la famille, les locaux ont leurs habitudes à eux, entre eux. »

tricot_4A la décharge des autochtones hauts-normands, il faut aussi admettre que Nicole Bayle – et c’est de sa part parfaitement assumé – reste en général délibérément sur sa réserve, cultive une misanthropie argumentée.

« Je ne sors pas, je ne les repousse pas, mais je ne vais pas spontanément à la rencontre des gens, confie-t-elle, le monde en général me consterne, je m’en tiens plutôt à l’écart, c’est l’art qui me sauve. » Un art qui est sa raison de vivre depuis l’enfance. « Je ne viens pas d’un milieu d’artistes, mais très tôt, dessiner, créer s’est imposé à moi », dit-elle.

En tricoteuse de jacquards géants.

En tricoteuse de jacquards géants.

C’est aussi dans la capitale qu’elle a suivi ses longues et remarquables études. L’artiste pluridisciplinaire – peintre, adepte du mail art, tricoteuse de jacquards géants… – les a toutes faites, toutes réussies.

Les Arts appliqués, les Arts déco, les Beaux-arts… Pas une école ne lui a résisté, et elle n’a résisté à aucune d’elles.

La pratique, mais aussi la théorie. A la fac, Nicole Bayle a enrichi son cursus d’histoire(s) de l’art.

Si elle a commencé très tôt à réaliser des œuvres – peintures, dessins… -, il fallait cependant aussi assurer le quotidien. Elle est alors devenu enseignante en arts plastiques (on disait à l’époque prof de dessin).

Le "Déjeuner sur l'herbe" de l'artiste.

Le « Déjeuner sur l’herbe » de l’artiste.

D’abord à Paris en tant que maître auxiliaire. Et c’est ensuite qu’elle a été nommée titulaire dans un établissement de Saint Nicolas d’Aliermont, tout près de Dieppe.

C’était en 1978. Et elle y a fait toute sa carrière, autant professionnelle qu’artistique.

Parallèlement à son activité d’enseignante, Nicole Bayle n’a en effet cessé de peindre. Le plus souvent à l’huile. Des paysages, toutes sortes de scènes.

img_6386« A travers mes 10 années d’études et tout ce que j’ai pu observer par la suite, j’ai emmagasiné un matériau considérable, raconte-t-elle, nombre de formes d’art, de tous les pays, de toutes les ethnies, de toutes les époques. »

Et puis il y a le tricot, un art qu’elle pratique aussi depuis toujours. Le soir, en regardant la télé. En grand format (parfois des dizaines de mètres), en motifs et couleurs multiples.

« Je travaille spontanément, sans croquis, sans canevas, précise-t-elle, une forme s’amorce, je révèle en fait dans le tricot ce qu’il y a dans mon cerveau. »

Et aussi le mail art et l’art postal, disciplines auxquelles elle consacre énormément de temps. Depuis qu’elle est à la retraite de l’éducation nationale, c’est son activité du matin.

Le mail art, l'activité matinale de Nicole Bayle.

Le mail art, l’activité matinale de Nicole Bayle.

Chaque jour, elle réalise ainsi des enveloppes à thèmes qu’elle conserve pour un temps – elle en accumule des centaines – ou qu’elle expédie aussitôt à ses correspondants (lesquels lui renvoient à leur tour des plis traités sur le même mode).

Le Musée de La Poste en a fait l’acquisition d’un certain nombre.

Devant quelques-uns de ses "Timbrés de conserve" exposés avant les travaux au Musée de La Poste.

Devant quelques-uns de ses « Timbrés de conserve » exposés avant les travaux au Musée de La Poste.

nicole-bayleAinsi que beaucoup d’exemplaires de ses Timbrés de conserve, couvercles de boîtes de sardines ou autres « affranchis » d’un timbre dont elle prolonge en peinture la thématique.

Plusieurs de ces œuvres seront présentées à la réouverture du musée. Et d’autres sont régulièrement montrées au sein d’expositions proposées un peu partout en France. La « titi » parisienne a fait son chemin…

Rodolphe Pays

En savoir plus : https://www.youtube.com/watch?v=k0kxYzZw6lg

 

 

 

 

Une fresque de Jace devant le Musée de La Poste : « J’ai voulu de la couleur, quelque chose de léger, de l’humour, sans prétention… »

_tdb2900_1La palissade du chantier de rénovation du Musée de La Poste continue d’accueillir les travaux de street artistes de renom.

Toujours selon le même principe : tous les deux ou trois mois, une nouvelle œuvre vient remplacer la précédente.

Après celles de Katre, SP 38, Lenz et Kashink, c’est une fresque de Jace que les passants du boulevard de Vaugirard peuvent voir actuellement.

Entretien avec l’artiste.

_tdb2719La fresque du musée

« Je vis et je travaille à La Réunion depuis très longtemps. Mais je suis toujours en lien avec la métropole. Pour mon activité, mes contacts… et aussi et surtout affectivement.

C’est un peu cette situation que j’ai voulu dépeindre avec cette fresque sur la palissade du Musée de La Poste : l’île où j’habite, Paris et la France, et entre les deux Madagascar et toute l’Afrique.

_tdb2724Quand on est un lointain insulaire, le courrier est d’autant plus important. On va souvent à La Poste pour des envois, des échanges avec la famille, des amis…

Mes « gouzous », mes personnages fétiches, se sont ainsi mués en postiers, aidés pour traverser les mers d’animaux africains, éléphant, chameau…

J’ai voulu de la couleur, quelque chose de léger, de l’humour, sans prétention, sans engagement…

 

_tdb2853La préparation

Mes idées, je les consigne souvent sur des carnets. Selon les lieux, les circonstances, elles peuvent s’y prêter, et alors je les reprends.

Pour ce travail sur la palissade du musée, je n’avais bien sûr rien anticipé, mais j’ai tout de même réalisé au préalable un croquis. Et comme j’avais choisi d’utiliser des bombes, j’ai aussi préparé toutes mes couleurs en amont.

 

_tdb2666Le contact avec les passants

C’était vraiment très sympa, je me suis éclaté à faire cette fresque. Et puis, c’était bien d’être en contact avec le public, dans notre activité, ce n’est pas toujours le cas, pas toujours possible.

J’ai eu l’occasion de parler avec beaucoup de gens, bien sûr il y a eu quelques ronchons, mais le plus souvent ils étaient contents, satisfaits de voir de la gaieté, de la couleur dans la rue. Le fait que ça reste en place quatre mois, c’est jouissif, nos travaux urbains ne demeurent pas toujours visibles aussi longtemps

 

_tdb2648L’engagement

Pour la palissade du musée, je n’ai pas voulu passer de message. Ca ne veut pas dire que je n’en délivre pas, ce n’est pas aussi tranché.

Quand je m’engage, j’essaie toujours de le faire avec de l’humour, qui permet de dire beaucoup de choses. Mais ce n’est pas pour moi un leitmotiv.

 

_tdb2703La formation

Je suis arrivé à La Réunion, j’avais neuf ans. Jeune, je me suis intéressé au hip-hop, au graffiti new-yorkais.

Par la suite, je n’ai pas fait d’école d’art – j’ai suivi un cursus plus scientifique -, mais j’ai appris dans les livres, les magazines.

Si aux Etats-Unis comme en Europe, des tas de gens m’ont inspiré, le fait d’être éloigné des grands centres créatifs a finalement été un bien pour moi. Je me suis assez vite éloigné du lettrage et j’ai pu forger ma propre expression, mon propre graphisme, indépendamment de ceux des autres.

 

_tdb2711Actualité

En ce moment, je prépare un événement pour les 25 ans de mon personnage, le « gouzou ».

Ce sera l’occasion de faire une grande rétrospective à La Réunion. Et toujours chez moi là-bas, après celle ouverte l’an dernier, où j’expose mon travail, je prépare en ce moment la création d’une nouvelle galerie.

Il s’agira cette fois de présenter les œuvres d’autres artistes. C’est un projet qui me tient à cœur, il verra le jour dans les mois qui viennent.

 

gouzous-de-jace-2013-2015Projets

Jusqu’à présent, je n’avais publié – tous les deux ou trois ans – que des ouvrages illustrés de photos de mes œuvres.

Cette fois, en fin d’année, devrait sortir chez « Alternatives » un bouquin qui explique ma démarche, avec des photos, des textes, des éléments de fond sur ce que je fais.

Et puis il y aura peut-être un projet de film d’animation avec mes personnages. Je n’ai encore jamais fait ça. Mais ça me branche plus que de réaliser des bandes dessinées, qui demande beaucoup de temps, et je n’ai pas la patience, j’aime travailler vite…

 

_tdb2861Voyages, présence dans le monde

J’ai toujours beaucoup voyagé. Initialement, c’était une démarche personnelle. Pour moi, mon travail. Depuis 7 ou 8 ans, c’est un peu différent. Je me déplace désormais beaucoup suite à des commandes.

Plus des trois-quarts de mes voyages se font aujourd’hui dans le cadre de demandes émanant de l’Alliance Française, de galeries, d’associations, de festivals…

Mais c’est toujours le même plaisir, celui de la découverte, de l’échange, de la créativité… »

Propos recueillis par Rodolphe Pays

(photos Thierry Debonnaire)

2017-02-14-palissade-musee-jaceLa fresque de Jace est visible sur la palissade du chantier de rénovation du Musée de La Poste jusqu’au 12 juin.

En savoir plus sur Jace et ses « gouzous » : http://www.gouzou.net/

 

 

 

 

 

 

 

 

La rétrospective consacrée à Bernard Rancillac par le Musée de La Poste ouvre dans quelques jours : entretien avec l’artiste

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(photo M. Lunardelli).

(photo M. Lunardelli).

Dans sa nouvelle exposition, proposée à Paris à l’espace Niemeyer, le Musée de La Poste revisite 50 ans de la carrière de Bernard Rancillac.

Le peintre évoque ici son parcours, ses convictions et revient sur l’événement que constitue cette rétrospective…

La rétrospective que vous consacre le Musée de La Poste couronne une longue suite d’expositions…

Oui, c’est vrai. J’ai eu ma première exposition personnelle à Meknès, quand je faisais mon service militaire là-bas au Maroc en 1953, et ma première exposition à Paris en 1956, il y a donc plus de 60 ans. Depuis lors, bien de l’eau a coulé sous les ponts de la Seine, et bien des expositions de mon travail pictural ont eu lieu.

ranci4Souvent elles réunissaient des toiles que j’avais faites autour d’un thème ou d’un procédé plastique, et elles constituaient des séries. Mais cette fois-ci, il s’agit d’une rétrospective de toute mon œuvre, jusqu’à des toiles très récentes.

Remarquez que je ne dis pas « du début à la fin », parce que j’espère bien encore trouver de l’énergie pour continuer à peindre. La peinture n’est pas pour moi une activité anecdotique, c’est toute ma vie, et c’est elle qui est aujourd’hui offerte au public.

 

ranci3Comment est née cette idée d’exposition avec le Musée de La Poste ?

C’est une idée de la direction du musée, et je tiens à remercier Mauricette Feuillas, sa directrice, Josette Rasle, la commissaire de cette rétrospective que je connais depuis très longtemps, et toute l’équipe qui les entoure.

Je veux aussi remercier l’Espace Niemeyer, qui m’accueille alors que c’est un immeuble magnifique, bien entendu, mais qui n’avait pas été conçu pour recevoir une exposition d’une telle ampleur.

Il y a eu bien des challenges à relever et c’est cela qui m’a passionné : au-delà de la peinture qui est montrée au public dans un lieu classé et chargé d’histoire, il a fallu affronter des difficultés matérielles et techniques. Mais je me suis senti totalement libre, et j’ai été mis en confiance dès le début par des gens – devenus aujourd’hui des amis – qui connaissent la peinture, qui aiment l’art et les artistes.

ranci5Cela a été pour moi un vrai plaisir de travailler avec eux pour préparer cette rétrospective. Même si je suis angoissé de savoir comment le public va réagir et s’il va répondre à notre appel.

 

Votre nom est associé à la Figuration narrative, apparue dans les années 1960. Comment est né ce mouvement ?

Dans ces années-là, c’était la peinture abstraite qui tenait à Paris le haut du pavé, qui était considérée comme d’avant-garde. Et je dois dire que j’ai commencé par faire de la peinture abstraite. Il le fallait bien pour tenter de gagner sa vie.

Mais au fond de moi, je n’étais pas satisfait. Je sentais qu’il fallait, non pas revenir à l’ancienne figuration, mais inventer une nouvelle figuration. Je voulais trouver un art plus attentif à ce qu’était devenue la vie dans ces années qu’on appellera par la suite les « Trente Glorieuses », plus ouvert sur la modernité, sur des réalités, des images et des mythologies du quotidien.

ranci1On allait bientôt parler de « nouvelle vague » pour le cinéma, et avec des amis jeunes peintres – comme Hervé Télémaque, Jan Voss, Peter Klasen et quelques autres – on s’est dit qu’il fallait inventer une « nouvelle figuration », que par la suite le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot devait appeler « la figuration narrative ».

Mais passés ces moments forts, chacun a tracé son propre chemin.

 

Vous avez toujours revendiqué un art engagé…

"Le sommier", 1998. Bernard Rancillac, Adagp, Paris 2017. Acrylique sur toile, châlit, outils, 175x125 cm, coll. de l'artiste.

« Le sommier », 1998. Bernard Rancillac, Adagp, Paris 2017.
Acrylique sur toile, châlit, outils, 175×125 cm, coll. de l’artiste.

L’engagement n’a pas été pour moi un « devoir » que je me serais imposé. Mais je lisais les journaux, j’écoutais la radio et je me disais que le monde n’allait pas bien : il y avait – et il y a toujours – des guerres, des massacres, des souffrances, du racisme, des femmes et des enfants qu’on tue, des peuples opprimés…

Il était bien difficile pour un artiste comme moi de ne pas y être sensible et de ne pas en parler avec le langage et les moyens qui étaient les miens.

A vrai dire, le vrai problème n’est pas à mes yeux que je sois un artiste « engagé », mais bien plutôt que le public qui regarde mes toiles se sente parfois si « dégagé » des souffrances du monde.

Et je lui demande : pourquoi l’art devrait-il nous offrir un monde « à part », protégé, et s’abstenir d’évoquer ces questions brûlantes qui nous rongent ? Car enfin les humains sont au monde non pour y survivre, mais pour y bien vivre, non ?

Je regarde autour de moi et je vois que c’est loin d’être ce qui se produit.

 

"Le Muezin", 2013. Bernard Rancillac, Adagp, Paris. Acrylique sur toile, 130x197 cm, coll. de l'artiste.

« Le Muezin », 2013. Bernard Rancillac, Adagp, Paris. Acrylique sur toile, 130×197 cm, coll. de l’artiste.

La Figuration narrative, la façon dont vous l’avez pratiquée, est-ce que le flambeau n’est pas repris par certains street artistes ?

Ce qui est sûr, c’est que ces jeunes gens connaissent le même sort et les mêmes difficultés que nous quand nous étions jeunes.

Ils veulent montrer ce qu’ils font, ils veulent voir leur talent reconnu, et comme on ne leur ouvre pas facilement les portes du petit monde établi de l’art, ils ont choisi de le faire dans la rue, ce qui entraîne souvent pour eux bien des problèmes avec l’Etat, la police ou le voisinage.

Mais rien ni personne ne peut empêcher l’art de s’inventer un destin. La création vivante est une brûlure qui vous pousse impérativement en avant.

 

Quels sont les peintres « classiques » que vous appréciez ?

Il y en a beaucoup. Mais au fond, que m’importent les siècles et les époques, ce qui me passionne ce sont les œuvres. J’aime bien la grande peinture d’histoire, parce que les peintres y traitent des événements marquants – des batailles, des scènes de la vie… – qui parlent directement à leurs contemporains.

Moi aussi, je peins l’actualité qui va devenir l’histoire…

Propos recueillis par Rodolphe Pays

(photos T. Debonnaire)

affiche_expo-resp300« Rancillac / Rétrospective », du 21 février au 7 juin, une exposition du Musée de La Poste proposée à l’espace Niemeyer, 2 place du Colonel Fabien, Paris 19e.

Ouvert du lundi au vendredi de 11 h à 18 h 30 et les samedi et dimanche de 13 h à 18 h (fermé les jours fériés). Entrée libre.

 

Un panorama représentatif

Peintures, objets, affiches, installations, collages… : la rétrospective que le Musée de La Poste consacre au plasticien Bernard Rancillac comporte une centaine d’œuvres réalisées du début des années 1960 à aujourd’hui.

L’exposition présente ainsi un panorama représentatif du parcours de cet artiste engagé, initiateur notamment de la Figuration narrative. 

« L’Art n’est pas fait pour s’endormir le soir dans son lit » (Bernard Rancillac).

 

 

 

 


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