Tarek Benaoum est en train d’achever la fresque qu’il réalise – entre des dizaines d’averses – sur la palissade du chantier de rénovation du Musée de La Poste.
Il explique comment il a été amené à concevoir cette œuvre, l’approche qu’elle a déclenchée avec l’univers de La Poste, sa démarche d’associer facteurs et calligraphie, les échanges avec les passants…
Le contact
« Lorsque Josette Rasle, commissaire d’exposition au Musée de La Poste, m’a appelé, je travaillais sur une grande fresque pour l’Institut des cultures d’Islam.

Pour Tarek Benaoum, « cette culture, ce métier de facteur, ces ambiances, c’est ça qui m’a avant tout intéressé. »
Elle m’a proposé de participer au projet Ralentir, street art, une série d’œuvres réalisées successivement par des artistes depuis deux ans et demi sur la palissade du chantier de rénovation du musée.
Un travail d’assez grand format aussi, puisque cette palissade fait plus de vingt mètres de long.
Je ne connaissais pas vraiment l’univers de La Poste, j’avais juste conçu une petite création lors d’une résidence d’artistes dans un bureau de poste de Montparnasse promis à la démolition.
Je ne connaissais pas non plus le musée, je savais seulement qu’il s’y était déroulée une belle expo de street art il y a quelques années.
Le projet m’a intéressé, j’ai tout de suite vu que le lieu et l’espace donnaient matière à s’exprimer.
L’idée
Très vite j’ai pensé associer la calligraphie, le cœur de mon travail, et les facteurs, le cœur de l’activité postale. J’avais le sentiment que ça parlerait aux gens, aux habitants du quartier, à ceux qui y travaillent, qui le fréquentent…

« J’ai au final retenu 7 photos, dont celle destinée à être un peu comme la pièce maîtresse de la fresque, celle du fameux Facteur Cheval. »
J’ai passé quelques jours à la médiathèque du musée à voir des photos de facteurs de toutes les époques. J’ai observé les codes vestimentaires, les uniformes, d’été, d’hiver, les gueules aussi, les postures…
J’ai au final retenu 7 photos, dont celle destinée à être un peu comme la pièce maîtresse de la fresque, celle du fameux Facteur Cheval. J’aurais aussi pu mettre François, le facteur de Jour de fête, le film de Jacques Tati.
Ces photos, j’en ai fait des tirages grandeur nature, que j’ai collés sur la palissade. Ils rythment la calligraphie que j’ai disposée autour d’eux.
La calligraphie
Les 7 facteurs de la fresque ne sont pas alignés chronologiquement. Je les ai placés en fonction de leurs costumes, de la couleur de leurs vêtements, de leur position, de face ou de profil, tête tournée ou inclinée.

« J’ai voulu que les facteurs apparaissent dans une ambiance un peu surréaliste, c’est pourquoi je les ai entourés de halos, de coulures, de gerbes de couleurs. »
Avec des différences de niveau aussi. Ils sont comme des repères, des mouvements…
J’ai aussi voulu qu’ils apparaissent dans une ambiance un peu surréaliste, c’est pourquoi je les ai entourés de halos, de coulures, de gerbes de couleurs.
Ce sont des sortes de marqueurs, d’échos des textes calligraphiés que j’ai répartis autour d’eux. Ces écritures – romaines, latines, arabes… – les font ressortir, les mettent en avant, les idéalisent aussi.
J’ai employé pour peindre les caractères les couleurs que j’utilise le plus souvent, l’or, l’argent et le cuivre. Elles me paraissaient adaptées à la circonstance, au lieu aussi. Ce sont des couleurs à l’opacité importante, elles captent et reflètent à la fois la lumière.
Le texte
Calligraphié à travers des écritures multiples, le texte en toile de fond de la fresque est l’œuvre de Jacques Lèbre, un poète qui était aussi postier. Ce sont des extraits d’un livre intitulé Janvier, qui évoque les femmes, leur sensibilité, leurs désirs…

« Un encart affiché sur la palissade donnera aux passants une « traduction » du propos de l’auteur. »
Un encart affiché sur la palissade donnera aux passants une « traduction » du propos de l’auteur.
Le bilan
Travailler sur ce projet, ça a d’abord été l’approche d’un univers. C’était nouveau pour moi, cette culture, ce métier de facteur, ces ambiances, c’est ça qui m’a avant tout intéressé.
Et puis, je croyais que ce serait peut-être mal perçu de travailler dans ce quartier, à la différence des quartiers plus populaires où j’interviens fréquemment.
Je me suis trompé, ça ne s’est pas passé comme je le redoutais un peu. Les gens ont aimé voir cette fresque s’élaborer, des gens de milieux différents, de religions différentes. Ils prenaient le temps de s’arrêter, de causer.
Je crois qu’ils ont apprécié. Cela m’a surpris au début, étonné, et j’ai trouvé que c’était vraiment bien.
J’ai aussi eu plaisir à travailler avec les gens du musée, ils m’ont accueilli, aidé, accompagné. J’espère que les passants – visiteurs d’un instant, d’un moment – partageront eux-aussi ce plaisir ».
Propos recueillis par Rodolphe Pays
(photos Thierry Debonnaire)
Une formation déterminante
Comme beaucoup de street artistes, Tarek Benaoum s’est d’abord passionné pour le graffiti. Bombes en main, il s’est forgé dès l’adolescence une première expérience.
C’est ensuite quatre années durant au Scriptorium de Toulouse – un atelier d’enseignement de l’école des Beaux-arts de la ville – qu’il apprendra la calligraphie. Une formation « à l’ancienne », exigeante, mais déterminante pour la suite.

Bernard Arin, initiateur et animateur du Scriptorium de Toulouse, a été l’un des enseignants qui ont compté dans la formation de Tarek Benaoum.
« Les profs nous demandaient beaucoup, ne nous passaient rien, se souvient-il, mais ils étaient très pédagos, donnaient beaucoup d’eux-mêmes, nous transmettaient leur savoir, leur amour de la calligraphie, de la typographie. »
Tarek Benaoum pense en particulier à l’un deux, Bernard Arin, qui a dirigé le Scriptorium jusqu’à sa fermeture en 2005 (faute de successeur… ).
« Face à des gens comme lui, tu es une éponge, dit-il, tu absorbes, et tu progresses… »
En savoir plus : http://www.tarekbenaoum.com/
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